JEUX DE RÔLES ET IMAGES FIXES POUR ENSEIGNER LA POLLUTION DES EAUX EN CLASSE DE GÉOGRAPHIE AVEC DES ÉLEVES-MAÎTRES
HONVO Camille
Institut National Supérieur des Arts et de l’Action Culturelle (INSAAC)Centre de Recherche sur les Arts et la Culture (CRAC)
Jeancamilleh6@gmail.com
Abstract
This paper sets out to explore the use of role plays and still images to teach the socially vivid
issue of water pollution. This question, which is a public subject of controversy, has now
reached the geography class. The results of the study reveal the educational and didactic interest
of role plays and still images in geography classes.
Keywords: Geography, role play, still image, water pollution, social issue.
Résumé
Cette étude se propose d’explorer l’articulation jeux de rôles et images fixes pour enseigner une
question socialement vive qu’est la pollution des eaux. Cet objet suscite des controverses dans
l’espace public et s’invite en classe de géographie. Les résultats révèlent l’intérêt pédagogique
et didactique du jeu de rôles et images fixes en classe de géographie.
Mots-clés :
Géographie, jeu de rôles, image fixe, pollution des eaux, question socialement vive
Introduction
Des sujets vifs qui suscitent des controverses dans l’espace public s’invitent en classe de géographie. La pollution des eaux qui affecte l’environnement en est un cas. Selon l’OMS, 1,6 millions d’enfants meurent, chaque année de maladies provoquées par l’eau de mauvaise qualité. Face à ce drame, les Nations Unies ont adopté depuis le 22 décembre 1992 une résolution déclarant le 22 mars de chaque année "Journée mondiale de l’eau" afin d’attirer l’attention de la société et des médias sur le problème de la pollution aquatique, car l’eau polluée tue plus que les guerres et d’autres types de violence (ONU, 2010).
L’eau, de plus en plus utilisée dans plusieurs secteurs d’activité, est souvent polluée (Baud, Bourgeat et Bras, 1997, p. 86). Sa gestion est un problème essentiel qui interpelle l’école qui doit servir de levier de promotion pour la préservation de l’eau. Cet apprentissage de la gestion et de la protection de l’eau passe par une pratique dans laquelle chacun peut développer sa créativité et cultiver son esprit critique. Considérer la pollution de l’eau, plus largement l’environnement, comme question posée par la société à propos d’un phénomène naturel que les humains perturbent est alors une alternative possible (Soulard, 2005, pp. 154-164).
Pour ce qui est du contexte éducatif, nous évoquerons l’introduction de l’objet eau dans les programmes scolaires ivoiriens . L’école se donne ainsi la mission de préparer les jeunes à l’exercice de leur rôle de citoyen libre et responsable.
Au sens où nous l’entendons, cette préparation passe par l’exercice du débat à travers l’articulation jeu de rôles et images fixes que ne proposent pas le cours magistral et le cours dialogué. Il s’agit de la coproduction des élèves dans une interaction avec les documents et l’enseignant : pratique qui est fort éloignée de la séduction passive provoquée par l’énonciation magistrale (Dalongeville, 1995, p.75).
Selon Sauvé, Renaud et Gauvin (2007, p.90), des études démontrent que les jeux mettent en place des conditions favorables à l’apprentissage, notamment la rétroaction, l’interaction et la participation active des apprenants. D’autres soulignent que le jeu motive l’apprenant, structure et consolide les connaissances, favorise la résolution de problèmes et influence le changement des comportements et des attitudes des jeunes. Cependant, des travaux de Fournier et al. (2004) relatent certains écueils qui nécessiteraient d’être approfondis par la recherche. Dans cette perspective, nous choisissons d’explorer l’articulation jeu de rôles et images fixes pour enseigner la pollution des eaux en classe de géographie.
Les questions deviennent alors : quels dispositifs didactiques mettre en place pour enseigner une question sensible ? Est-ce que la géographie scolaire offre-t-elle cette opportunité à exécuter l’articulation jeu de rôles et images fixes ?
Ce questionnement est né de la rencontre d’une pratique enseignante orientée vers les jeux de rôle sous-tendue par les situations-problèmes dans lesquelles se profile une vision nouvelle de l’enseignement-apprentissage de la géographie à un projet éducatif du développement durable.
L’objectif de l’étude est d’explorer l’articulation jeu de rôles et images fixes pour enseigner la pollution des eaux. Il s’agit d’élargir le champ des possibles pour l’élève-maître en proposant des dispositifs didactiques autre que le cours magistral et dialogué. A partir de cet objectif, nous postulons que le jeu de rôles articulé avec des images fixes pourrait donc constituer une alternative aux dispositifs classiques que sont le cours magistral et dialogué pour redonner le goût d’apprendre en classe de géographie.
Cette étude prend ancrage dans la théorie des situations didactiques notamment l’action, la formulation, la validation et l’institutionnalisation élaborée par Brousseau (1998) et l’approche socioconstructiviste de l’apprentissage, car négocier, ajuster son action en relation avec d’autres sont des conditions de faisabilité de l’enseignement-apprentissage (Lantheaume, 2011, p.27).
Si la connaissance est bien l’aboutissement de l’activité constructive du sujet, celui-ci n’existe ni ne peut se développer en dehors de la vie sociale. A partir des images et surtout avec le jeu de rôles, l’élève-maître construit sa réalité ; ceux qui l’entourent construisent la leur, gérant ainsi des conflits sociocognitifs, c’est-à-dire d’interactions cognitives entre des élèves ayant des conceptions différentes des savoirs que vise l’apprentissage (Rey et al. 2004, p.22). Une vision socioconstructiviste nous paraît utile pour spécifier un point de vue de la géographie sur une question socialement vive comme la pollution de l’eau à travers le jeu de rôles et images fixes.
Pour Mucchielli (1983), le jeu de rôle est une mise en scène d’une situation problématique impliquant des personnages ayant un rôle donné. Dalongeville (1995, op. cit. p 75), indique qu’il ne s’agit pas de se contenter de jouer, mais de confronter jeux et interprétations, les uns aux autres. Leur interprétation est forcement incomplète et peut être relativisée ou infirmée par des faits géographiques. Il s’agit de prendre en compte le raisonnement géographique et de mettre en veilleuse une "géographie frileuse" éloignée des grands problèmes contemporains (Le Roux, 2003, pp. 56-57).
Selon Hugonie (1992), la géographie répond d’abord à la curiosité fondamentale des adolescents comme des adultes sur le monde qui les entoure. La géographie est le vecteur privilégié de l’étude des relations entre les sociétés humaines et leur "milieu" physique, de l’éducation aux problèmes de l’environnement. Pour Dalongeville (2003), la géographie est un rapport à l’espace qui tourne le dos à la géographie descriptive et inventaire. Elle prend en compte la présence d’acteurs ayant des intérêts conflictuels qui met à jour que l’espace est l’enjeu même de ces rapports sociaux et non pas seulement son produit.
La géographie se présente comme un outil stratégique de sensibilisation qui conduit à la prise de conscience de la réalité planétaire et suscite un changement de comportement en vue de l’édification d’un monde meilleur pour tous (Hoyek, 2011, p 41).
Pour Esoh (2002), La géographie regorge en son sein une très grande diversité thématique qui fait d’elle la discipline pour le changement. Il s’agit de rendre la discipline opératoire, utile socialement et permettre aux élèves de comprendre les enjeux territoriaux, pour devenir des acteurs réflexifs de leurs territoires (Jacob, 2005 ; Jacob et Servais, 2017). Dans la perspective d’une géographie « traversière » prônant son renouveau didactique, nous entrevoyons la pollution des eaux comme une question socialement vive.
Pour Legardez et Simonneaux (2003), un sujet d’enseignement est vif quand il réunit plusieurs facteurs : la vivacité de la question dans l’ensemble de la société, les débats internes à la discipline, c’est-à-dire entre géographie inventaire et celle qui prend en compte les sujets d’actualité et enfin pour caractériser la « vivacité » d’une question d’enseignement, il faut qu’elle soit sensible en classe. Les élèves, pour la plupart, en ont entendu parler, ils ont vu des images à la télévision (Boyer, 2009).
Armand (1988) souligne qu’en géographie, l’image modifie assez profondément la pratique pédagogique. Or, la pratique traditionnelle de la classe de géographie avec des images ne favorise pas la construction du raisonnement géographique et des composantes de la géographie des perceptions et des représentations (Éduscol, 2011).
Pour Fresnault-Deruelle (1993), l’image peut véhiculer deux discours : d’un côté, il y a le message en lui-même, et de l’autre, le contact que l’image tente d’établir avec le lecteur. Pourtant, Philippot et Bouissou (2007) constatent que les cartes et les photographies, prises dans les logiques de la discipline scolaire, servent essentiellement à la réalisation d’exercices-types : décrire une photographie, faire une carte.
L’image se définit comme message visuel et celui-ci se comprend comme une expression et une communication surtout pour la sensibilisation contre la pollution des eaux.
Baud et alii (1997, op.cit., p.348) définissent la pollution comme une atteinte grave à l’environnement. Tout au long d'une rivière, les villes, les industries, les exploitations agricoles, évacuent leurs eaux usées, laissent écouler leurs eaux de ruissellement, repompent, traitent ou ne traitent pas, réutilisent et rejettent l'eau toujours plus souillée chaque fois.
Pour la FEPS , La pollution de l’eau survient lorsque des matières sont déversées dans l’eau qui en dégrade la qualité. La pollution des eaux est « un sujet concernant tout le monde et touchant la vie quotidienne, inscrivant de ce fait l’Ecole dans la vie réelle » (De Vecchi et Pellegrino, 2008).
Après l’analyse des choix théoriques, nous aborderons les possibilités méthodologiques suivies de la présentation des résultats et leurs significations qui seront discutés.
I-Possibilités méthodologiques de l’étude
L’étude que nous avons menée s’est déroulée au CAFOP d’Aboisso avec un effectif de 140 élèves-maîtres repartis dans huit (8) groupes-classes
I.1 Définition de l’échantillon des élèves-maîtres
Nous avons travaillé avec quatre (4) groupes classes soit un effectif de quatre-vingt (80) élèves-maîtres. Nous avons opté pour l’échantillon par choix raisonné, car ces élèves-maîtres sont issus des groupes-classes tenus par des enseignants choisis en raison de leur statut de tuteur pédagogique de stage . Avec cet échantillon, nous avons constitué seize (16) sous-groupes, formés de cinq (5) élèves-maîtres chacun.
I.2 Méthode de recherche
Dans notre étude, nous avons utilisé la démarche qualitative, car elle s’appuie sur un modèle d’exploration d’un certain nombre de dispositifs didactiques en classe de géographie pour enseigner des questions sensibles. Nous optons pour la méthode qualitative pour tenter d’en dégager le sens de l’articulation jeu de rôles et images fixes, ce que ne permet pas toujours l’analyse quantitative (Van der maren, 1995).
I.3 Les instruments de recueil de données
Les possibilités offertes par la présence de l’intitulé "Je prépare une leçon sur les cours d’eau de Cote d’Ivoire" dans les programmes des CAFOP nous ont permis de mettre en place un travail explicite sur le jeu de rôles comme dispositif didactique basé sur le traitement didactique des images fixes.
Pour la collecte de données, nous recourons à des entretiens semi-directifs et des observations de classe.
Couramment utilisé en recherche qualitative, l’entretien semi-directif (Annexe 1) avec des élèves-maîtres sur le jeu de rôles et l’utilisation des images pour enseigner la pollution des eaux nous donne la possibilité de partager des expériences. Cet instrument nous semble correspondre aux exigences de cette étude qui se veut exploratoire.
Nous effectuerons des entretiens post-séance composés des mêmes items et cela pour apprécier les inerties et les changements au niveau des représentations. Par rapport aux entretiens post-séance, nous focalisons notre regard sur l’intérêt pédagogique et didactique de l’articulation jeu de rôles et images fixes et le chemin parcouru en complétant un tableau-bilan comprenant deux colonnes dont les titres sont les suivants : « Ce qu’on a fait », « Ce qu’on a appris » (Annexe 2).
L’entretien donne des éléments qui permettent de cerner des pratiques déclarées qu’il faut mettre à l’épreuve à travers des observations de classes qui nécessiteront une grille d’observation. Nous avons observé trois séances ayant conduit à la mise en œuvre de l’articulation jeu de rôles, images fixes et pollution des eaux. Notre observation de classe consiste à constater la réaction des faits et à répondre par oui ou par non à une question posée d'avance (Brousseau, 1978, p.132). L’objet sur lequel portera le regard pratique de l’observateur sera orienté vers le jeu de rôle et l’exploitation didactique de l’image en nous basant sur les catégories de situation (Brousseau,1998, op.cit). Quant aux élèves-maîtres constitués déjà en groupes, nous leur remettons une grille basée sur la qualité des arguments, de l’exploitation des images, la réactivité et la capacité à recentrer ou à relancer le débat. La grille leur permettra d’apprécier l’articulation jeu de rôles et images fixes. Dans ces groupes constitués, nous avons des observateurs de part et d’autre à qui nous remettons des grilles d’évaluation des débats (Annexe 3).
Selon Meirieu (1987, pp. 26-31), la situation didactique est engendrée par un dispositif qui place les apprenants devant une série de tâches qui est l’élaboration d’un corpus d’images et son exploitation didactique à travers des jeux de rôles. Nous leur avons donné une semaine pour constituer le corpus d’images. Tout cela est accompagné d’un exemple de cours (Annexe 4) préparé et exécuté avec la collaboration des enseignants des groupes classes.
La constitution et l’exploitation du corpus est partagée en trois moments : émergence des conceptions des élèves-maîtres à travers la technique de la fresque et de la définition spontanée, construction du corpus d’images fixes à partir des prérequis des élèves-maîtres et exploitation.
Nous soulignons que cette pratique de réalisation du corpus documentaire autour d’une leçon ou des séances ne doit pas être réduite à une procédure d’illustration, mais envisagée comme une situation didactique à part entière adossée à des postulats épistémologiques et didactiques. Avec l’aide des élèves-maîtres, nous avons élaboré un corpus composé de treize (13) images fixes (Annexe 5). Ce corpus d’images fixes est exploité en fonction du choix et de la construction de l’argumentation (Annexe 6).
II Résultats et interprétation
Dans ces lignes qui suivent nous allons présenter les résultats issus des différents entretiens semi-directifs et d’observations de séances basées sur les jeux de rôle et l’image et des entretiens post-séances.
II.1 Résultats de l’entretien avant-séance mené auprès des élèves-maîtres
Nous nous sommes inspiré de la technique de Spradley (1980) qui permet de regrouper de façon inductive des caractéristiques ayant les mêmes affinités. Elle a permis de regrouper les énoncés qui présentaient des similitudes. Cela nous a conduit à l’identification de catégories de préoccupations liées à notre guide d’entretien : définition, jeu de rôles et image inducteurs d’apprentissage, préférence des élèves-maîtres, les plus grands pollueurs. Les réponses au sein de ces catégories nous donnent les diagrammes suivants.